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Le malentendu russo-occidental, conséquences pour Israël

Conférence-zoom par Alexandre del Valle, organisée par la section genevoise de l’ASI, à l’occasion du départ de SE l’ambassadeur d’Israël Jacob Keidar, 24 juin 2021.

Ouverte par le président J0ël Herzog et modérée par Edgar Bloch, journaliste, la conférence d’Alexandre del Valle a tenu ses promesses devant un auditoire exclusivement formé de visages et de noms de personnes, restrictions Covid obligent !

En ouverture, Joël Herzog rend un bel hommage à Jacob Keidar un ambassadeur israélien qui a su se faire apprécier en Suisse et enrichir les solides relations entre les deux pays.  Dans sa réponse, notre ami ambassadeur dit son regret de quitter un pays où il a établi de nombreux contacts aux échelons les plus variés, incluant les relations économiques et culturelles, sans oublier la gastronomie. Les modes de résolution « apaisée » des problèmes politiques lui ont parfois fait envie, par rapport à l’exercice plus brutal de la politique en Israël !

Edgar Bloch présente ensuite l’orateur de la soirée. Alexandre del Valle est un essayiste et militant politique franco-italien. Spécialiste en géopolitique, il s'intéresse principalement à l'islamisme, aux relations entre Europe, Russie et Turquie, et au monde arabo-musulman.

Comment la Russie est-elle perçue en occident ?

Malgré une affinité continentale et culturelle certaine, la Russie reste énigmatique pour l’Occident : D’une part, elle n’est plus l’URSS ; en perdant ses satellites, elle est devenue plus petite et a perdu son importance géostratégique en acceptant – à contre-cœur – que lesdits satellites se rapprochent de l’Occident. D’autre part, elle a clairement montré à l’Occident les lignes rouges à ne pas franchir, par exemple en Biélorussie et en Ukraine.

Vladimir Poutine ne saurait être comparé à un Staline ; c’est un personnage complexe formé au sein des services secrets, qui aime le langage clair. Au début du XXème siècle, l’attitude de l’Occident à l’égard de la Russie a oscillé entre la recherche d’un consensus et la poursuite des efforts visant à réduire encore l’influence de ce pays. Poutine a eu du mal à analyser ces intentions contradictoires, et s’est peut-être braqué face à des opinions de droite, étatsuniennes surtout, qui souhaitaient poursuivre leur avantage du moment sur la Russie. C’est ainsi qu’une possibilité d’alliance avec la Russie dans le but de se montrer solidaires face à l’Iran, l’Afghanistan et la Chine, la menace islamiste en général, a peut-être été gâchée.

Dans l’état actuel de tension, la Russie s’estime menacée par les initiatives militaires de l’OTAN, trop proches de ses frontières ; elle rappelle que les USA ne tolèrent toujours pas la présence du régime de Cuba à leurs portes, et verraient certainement très mal, par hypothèse, que le Canada se rapproche de la Russie. Elle doit aussi tenir compte de sensibilités particulières le long de ses flancs iranophone et turcophone.

La géostratégie de del Valle fait peu de cas des extrêmes sensibilités historiques des anciens satellites (Pologne, états baltes...), qui, selon lui, devront un jour oublier leur rancœur et faire face à la réalité ; (Ndlr : cette géostratégie-là est peut-être un peu trop française, éloignée du « front russe »).

Les conséquences du malaise occidental face à la Russie

Les tensions entre Russie et Occident ont entraîné un raidissement de la Turquie ; l’islamisme y prend de l’ampleur dès 2003 et s’étend au flanc sud-est de la Russie. Il n’est pas interdit de penser que les services secrets US soutiennent plusieurs mouvements antirusses dans la région. Ces gestes confèrent à l’Occident une aura maléfique. A l’opposé, on peut s’étonner que la presse occidentale soit aveuglée au point de ne pas voir l’extrême danger régional représenté par le régime conservateur iranien. L’hostilité d’une Turquie devenue islamiste à l’égard d’Israël, proche du monde occidental, s’accroît.

Ainsi prennent forme des antagonismes entre monde occidental, monde russe et monde proche-oriental musulman. La Russie se sentant mal-aimée, est persuadée qu’on lui cherche noise. Elle va donc devenir l’amie de tous les ennemis de l’Occident et se rapprocher d’entités qui ne lui ressemblent en rien, comme la Syrie, l’Iran ou encore la Chine. Cette « stratégie multiple » est proche de celle de l’Inde.

D’un point de vue géopolitique global, un rapprochement entre la Russie et l’Union européenne serait une bonne chose, pour autant que les réserves des européens directement concernés (les « voisins ») soient satisfaites et que la Russie mette fin à ses excès illibéraux. Il est aussi possible que les USA, trop occupés à leur contentieux avec la Chine, encouragent un apaisement russo-européen, mais les intérêts économiques du moment sont ici prépondérants : le gaz russe ou le pétrole de schiste US. Le récent sommet genevois Biden-Poutine n’a apparemment pas donné de résultat concret, mais le mécanisme de rapprochement est un processus lent : quand on se parle, c’est un début de dialogue, mieux que rien ! Il est possible qu’une désescalade ait commencé.

Et Israël ?

Poutine est un ami d’Israël, le gouvernement russe est aussi proche d’Israël. Ceci s’explique par de nombreux liens. Israël compte environ 1 million de citoyens d’origine russe (et russophones) ; cela crée une proximité culturelle. De plus, les collaborations économiques, scientifiques et technologiques très poussées ont produit un solide tissu de relations.

Notre conférencier se montre optimiste quant au développement des relations entre Israël et les pays arabes dans ce contexte de tensions régionales. Dans le monde arabe, on tend à penser que le problème israélo-palestinien ne doit pas occulter complètement l’intérêt bien compris de chacun dans la mise en place d’économies plus productives et de progrès technologiques grâce à des collaborations avec Israël.

Conclusion

Comme il en a toujours été dans la région, les paradoxes ne manquent pas :

  • L’Occident est-il suicidaire, qui désigne la Russie comme le pire ennemi mondial mais demeure l’allié de la Turquie (membre de l’OTAN) et des monarchies islamistes du golfe qui promeuvent le totalitarisme et ont même souvent aidé les organisations jihadistes ?
  • Le mouvement terroriste Hamas a pignon sur rue dans la plupart des états occidentaux ; pour lui et ses soutiens des Frères musulmans, de l’Iran, du Quatar et de la Turquie, l’Europe et les USA sont autant des « diables à combattre » que ne l’est l’état juif d’Israël, avant-poste de l’Occident au Proche-Orient. L’Occident est-il suicidaire ?

Un bel exposé, un sujet et des informations originales, des enjeux géostratégiques clairement exposés, que souhaiter de plus pour un Webinaire ?

Jean A. Neyroud